Le testament de Lambert Darchis
Le 22 octobre 1696, Lambert Darchis rédige son testament qui est enregistré chez Amico Abinante l’un des trente notaires capitolins. Ce testament est imprimé (8 pages) par Ercole. Nous avons pu localiser trois exemplaires qui sont conservés aux Archives Communale de Liège, à l’ambassade de Belgique près le Saint-Siège et aux Archives de l’Evêché de Liège. La Fondation Lambert Darchis possède à Rome un exemplaire manuscrit (peut-être l’original ?).
Ce texte écrit en latin avec clarté et précision est l’œuvre d’un homme pieux, soucieux du salut de son âme.
Il souhaite être enterré dans l’église Santa Maria dell’Anima et plus particulièrement dans le caveau familial situé dans l’autel Sainte Anne « près du pilastre du dit autel, dans la zone supérieure ». Ce caveau a aujourd’hui disparu.
Ce testament est empreint d’un profond attachement de Lambert Darchis à son pays natal, la principauté de Liège et c’est là le cœur même de ses dernières volontés. Il est vrai que Rome, au XVIIe siècle, a attiré de nombreux jeunes Liégeois soucieux d’échapper à l’insécurité provoquée par les conflits avec la France. « En cette triste époque où depuis tant d’années, notre innocente patrie a été et est encore dévastée », écrit Darchis, « beaucoup de ceux qui sont forcés de la quitter et de se réfugier à la Curie Romaine comme un asile à tant de misères et d’y chercher meilleure fortune… » mais malheureusement échouent par manque de connaissance de la langue italienne et des habitudes de la Curie et qui plus est, sans ressource, vivent dans le dénuement total. Darchis en est profondément affecté et cela est devenu une de ses préoccupations depuis de nombreuses années. Aussi, par ces dernières volontés testamentaires, il va créer une institution qu’on appellera au début « Hospitium pauperum patriotarum » ou Hospice Darchis. Il va donc consacrer une très grande partie de sa fortune à cet objet et demande donc à ses exécuteurs testamentaires d’acheter ou de louer une maison assez grande pour y accueillir exclusivement des jeunes Liégeois.
Ces derniers seront reçus pour cinq ans maximum, y auront un lit, de la lumière et pendant l’hiver, du bois pour se chauffer, ajoutant plus loin que si l’un des pensionnaires est malade, qu’il soit convenablement soigné, pour autant que cela ne provienne pas d’un « acte vénérien ». Tout cela dans le but d’acquérir une situation meilleure, d’apprendre l’italien et d’obtenir un poste à la Curie.
Il demande aussi qu’il y ait dans cette maison un autel consacré à Marie, à saint Lambert et à saint Hubert et qu’après le souper, les pensionnaires récitent les litanies de la Vierge et un De Profundis pour son âme et celle de ses parents.
Parmi les bénéficiaires, il précise avoir une triple préférence pour ses parents, les habitants de Milmort (village d’origine de son père), les paroissiens de Saint-Hubert à Liège (paroisse de sa naissance) et enfin les Hesbignons. Certaines phrases de son testament qui concernent les bénéficiaires peuvent donner cours à des problèmes d’interprétation :
– « Exclusis etiam ultramosanis ». Rejette-t-il les habitants du faubourg d’Outremeuse à Liège où les habitants de ce quartier ont la réputation d’être turbulents ? Certains auteurs parlent d’un incident que Darchis aurait eu dans sa jeunesse dans ce quartier mais cela relève du domaine de la légende. Ce qui paraît probable, c’est que Darchis parle plutôt des pays d’Outremeuse où l’on parlait flamand. Il réserve l’accès à son hospice à ses « compatriotes de langue française uniquement, de crainte que de la diversité des langues ne naissent entre eux des désordres et des rixes ».
– « Et hoc ut se habiliores et industriores reddant ad aliquid majus et honestius lucrandum curiae et curialitati inserviendo, exclusis artibus maechanicis » (« Ceci afin qu’ils se rendent plus aptes et plus capables de gagner mieux leur vie et plus dignement au service de la Curie et de ses membres sans toutefois se prêter aux arts mécaniques »). Voilà une phrase qui a fait couler beaucoup d’encre parmi les commentateurs de ce testament.
« Exclusis artibus maechanicis », cette expression vise les emplois manuels dont font partie les artistes. Cela semble indiquer que Lambert Darchis a pris soin d’exclure de sa future institution les artistes. C’est uniquement pour les jeunes Liégeois qui se destinent à la Curie, qu’ils soient prêtres ou non, qu’il destine sa fortune pour ériger son hospice.
Cela est corroboré dans une requête soumise par les exécuteurs testamentaires de L. Darchis à la congrégation du Concile en 1703. Ceux-ci rappellent la volonté du défunt : « L. Darchis…eretto un ospizio per ricervi giovani liegesi ….fossero venuti per apprendere la lingua e il carattere italiano a fine di potersi abilitare all’acquisto di altre scienze escludendo afatto le mecaniche e professioni civili di scultore e pittore »(« L. Darchis a érigé un hospice pour recevoir les jeunes Liégeois pour leur permettre de s’assimiler à la langue et aux coutumes d’Italie et leur faciliter l’acquisition d’autres sciences à l’exclusion des artisans et des professions libérales, de sculpteurs et de peintres ». On ne peut pas être plus clair. C’est donc à tort que beaucoup d’historiens ont cru qu’il avait voulu, en fondant son hospice, favoriser les beaux-arts et c’est une opinion qui est encore aujourd’hui très répandue.
Bien sûr, Darchis n’était pas contre les artistes. L’inventaire des biens dressé à son décès et conservé à la Fondation à Rome comprend une longue liste de tableaux. Il lègue d’ailleurs un tableau à chacun de ses exécuteurs testamentaires et par ailleurs, il offre à son grand ami peintre Théodore Heque, le premier des exécuteurs testamentaires, le privilège d’avoir un logement à vie dans la nouvelle institution.
Darchis termine son testament en étant très généreux avec sa famille et ce malgré le fait que sa sœur Marguerite et son frère Nicolas, chanoine de la Collégiale Saint-Denis à Liège, lui aient caché la part d’héritage qui lui revenait après le décès de leurs parents et de leur frère le chanoine Eustache (décédé en 1661). Il leur destine, « par esprit de bienveillance », la somme considérable de 5000 écus d’or.
Lambert Darchis meurt le 25 février 1699. Les exécuteurs testamentaires ne vont pas trainer. Quelques mois après son décès, ils font l’acquisition, en octobre 1699, d’une grosse maison via Monte d’Oro. L’hospice était donc organisé.